Affairé à décharger ballots et caisses et à distribuer ordres et reproches à ses aides sifflantes, le jeune dunmer se figea quand - il le savait - sa sœur le fixait de ses yeux blancs. Il hésita quelques secondes mais ne se retourna pas ; à quoi bon…
Puis il reprit son souffle, invectiva sans raison fondée un pauvre serviteur dévoué avant de reprendre sa tâche.
L'essentiel des biens apportés étaient destinés au seigneur des lieux ; des présents du patriarche Felen pour son ami Ralen ou des commandes par ce dernier passées. Cyian en ignorait parfaitement la nature mais il ne doutait pas qu'ouvrages savants et correspondances secrètes se mêlaient à quelques antiquités plus belles qu'utiles ainsi qu'à divers produits très prosaïques qu'on ne trouve qu'à Vvardenfell.
Une petite malle partirait dans les appartements de sa sœur. Nul besoin d'être prophète pour deviner que des herbes précieuses, des essences et des gemmes rares s'y trouvaient. Les accompagnerait une lettre, longue sans doute, portant affectueusement conseils et avertissements.
Plus inhabituels, de menus objets emballés à la mode seydarane1 gagneraient les quartiers des convives de moindre valeur. Cyian s'étonna de les trouver quand, déchargés à Longsanglot, il dut en assurer la réception. Car s'il est de coutume à Sadriþ Mora d'échanger entre voisins Telvanni des « présents de courtoisie », pareilles marques d'attention sont rarement observées à l'égard des autres Maisons... et plus rarement encore à l'égard des autres races. Une telle libéralité choqua le fils Ihrfihn mais l’insistance de l'Intendant missionné par son père et le ton de ce dernier clairement perceptible dans le message lié eurent raison de son indignation. Par dépit, néanmoins, et parce que la curiosité participe au grand orchestre de ses vices, Cyian porta son regard au-delà des soies.
Pour Thalen, le sombre Serano, un Morashalged2 dodécaédrique, de cette facture qui irritait tant Cyian, enfant. Pour sieur Omoril, un ornement de cuirasse représentant un scarabée tel qu'aiment en porter les rédorans. La soupesant, le jeune Ihrfihn craignit qu'elle ne fut taillée dans l'ébènite. Une fiole suspecte pour Sibjaarn le Norde et une pièce de tissus plié pour Vebak le Vieux. Suivaient un maillon de chaîne, très certainement enchanté, pour Maître Tunjaar, diverses babioles aussi légères qu'intrigantes pour d'autres hôtes et enfin, un singulier corset de cuirs tressés pour… Maître Krsh.
Plus encore que l'intérêt porté par son père au vieil argonien (et à ses mensurations), Cyian s'étonna d'un présent dont le destinataire lui était inconnu. L'objet en lui-même n'avait rien d'extraordinaire : une araignée taillée dans un bois noir, suspendue à sa toile. Tous les enfants Ihrfihn avaient eu le loisir d'admirer sembable colifichet suspendu au-dessus de leurs berceaux. Mais Cyian n'avait pas souvenir qu'un enfant dénommé Frediutz logeait au domaine.
Distribution faite, il se dirigea à pas vifs vers le Manoir et gravit sans attendre les escaliers. Il pénétra dans ses appartements où l'attendaient réconfortantes les volutes humides d'une baignoire tout juste installée.
1Enrobée de soies d'araignée enchantées ; naturellement blanches et opaques, elles deviennent translucides sous l'effet du bon enchantement permettant ainsi d'en identifier le contenu.
2Sorte de jeu logique dont les Telvanni sont friands. Généralement en bois et à facettes multiples, cette boite ne révèle son contenu qu'après de nombreuses manipulations, nécessitant esprit et adresse, parfois même un brin de magie.
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