Il est des événements cruciaux qui doivent être relatés, des faits qui se sont passés en des temps qui sembleront immémoriaux à ceux qui liront un jour ses lignes. Elles ont été écrites à une époque tellement lointaine que les fils de mes fils n’y prêteront pas plus de crédit qu’aux insondables récits des vieillards séniles. « Il n’y a point d’aube pour les ignorants, et pour ceux qui ne s’évertuent pas, point de vie par-delà le voile du néant ». Ainsi parla jadis mon maître et ami tandis qu’il se tenait bravement sur le seuil du trépas.
Nous étions les lances cendraises venues des racines de la Montagne Rouge, agiles et déterminées, et fières de prendre part à la sainte croisade de Nérévar, notre guide et héros. Rien n’aurait pu empêcher notre avancée victorieuse dans la forteresse des Dwemers, pas même Dumac le dépravé. Lorsque la terre noircie fut libérée et que les corruptions mécaniques s’évanouirent, la guerre fut achevée et les Tribuns, trois-sans-maître, descendirent victorieux les pentes du volcan pour recevoir les acclamations.
Qui oserait aller contre la parole du Tribunal, qui pourrait croire que des évènements décisifs pour l’histoire de Resdayn ont été gardés secrets ? Ce fut pourtant ce qui arriva... En vérité, la fin de la guerre est restée cachée aux yeux de tous les Chimers et c’est là la plus grande mascarade de notre temps, le mensonge le plus inavouable qui m’ait été révélé. L’effroi envahira celui qui lira ces mots autant qu’il m’envahit lorsque la terrible dissimulation me fut dite.
Il est dit dans les écrits saints et les broderies qui tapissent les temples que le roi de jadis et ses conseillers furent les seuls à assister au dénouement sous la montagne. Ceci est un premier mensonge, car il y eut de rares témoins : la garde personnelle du Seigneur Nérévar l’accompagna jusque dans la chambre du cœur et mon maître et ami en était le vétéran. Ils furent pourchassés pour ce qu’ils purent entrevoir. Il est aussi élevé en vérité absolue que la mort conjointe d’Indoril Nérévar –le roi- et de Voryn Dagoth –le conseiller- fut le déplorable fait d’une rixe irraisonnée et violente qui les mena tous deux à la mort. Ceci est un second mensonge, une duperie échafaudée par les Tribuns pour camouffler la vérité de leur crime. Ils sont les seuls usurpateurs et les menteurs originels, car c’est de leurs mains que tomba Nérévar, leur ami, leur frère, leur roi. Ils ont distillé en lui des paroles venimeuses et leurs conseils n’étaient que tromperie pour l’inciter à conserver les outils maudits de Kagrénac, et lorsqu’ils en eurent l’occasion, dans le secret du volcan, ils l’assassinèrent pour s’emparer du pouvoir des Dwemers.
À la lumière de cette horrible vérité, beaucoup de mystères trouvent résolution et l’ombre se dissipe en de maints recoins de notre histoire. L’action pernicieuse des conseillers de Nérévar fut en fait longuement préméditée ; leur avidité pour les connaissances dwemers s’est construite bien avant le début de la guerre. Ce sont eux qui ont persuadé l’ami du roi, Voryn Dagoth, de s’immiscer plus avant dans les secrets de Dumac et son ingénieur Kagrenac, le poussant petit à petit à la place idéale du traître. Ainsi lorsque tout l’immonde stratagème prit fin, ils réapparurent glorieusement et Dagoth devint l’assassin qui périt pour sa trahison.
Tous ces événements furent une impensable machination minutieusement pensée par Almalexia, Sotha Sil et Vivec, pour devenir les nouveaux dieux des Chimers. La malédiction et la promesse de vengeance d’Azura fut peut-être la seule chose qu’ils n’avaient véritablement pas prévu.
Croyez-le ou non, je suis intimement persuadé de la véracité de mes allégations. Je le fus dès l’instant où les yeux épouvantés de mon ami confesseur se fermèrent à jamais. Pourquoi à l'aube de son voyage vers l'au-delà, un mourant gâcherait-il ses ultimes paroles en de telles révélations ? Ces mots me coûteront très certainement la torture ou la mort, tôt ou tard... Qu’importe, tant que ce parchemin traverse les âges et les mémoires de quelques érudits, j'estimerai mon devoir accompli. Pour y parvenir, j'irai sans tarder confier mon témoignage à mes confrères cendrais qui se regroupent à présent hors des cités, car eux-seuls trouveraient un intérêt dans sa conservation et sa protection.
Qu’à jamais soient loués Azura, Mephala et Boethia, nos seuls et véritables guides.
Zainat Erushara