Perd-ses-Plumes est contrariée.
Le principal fournisseur de miel du Manoir, un cendreux hautain des pentes de Sathram a fait preuve à son égard d'une consternante insolence. Perd-ses-Plumes ne craint pas les insultes, a fortiori celles émanant d'un mer. Mais la vieille argonienne rage qu'on puisse imaginer qu'elle soit sotte. Et c'est bien la prendre pour la plus parfaite des idiotes que de lui soumettre pareils tarifs ! Si l'affreux ne négocie pas, ce sera la guerre : au prochain Marché de Coeurébène, elle lui fera une publicité telle qu'il peinera à s'en remettre. On ne heurte pas une intendante argonienne, dans un pays où les trois quarts des intendants de Domaine sont argoniens... Perd-ses-Plumes le sait : Foule-les Cendres et Cornes-Drues la soutiendront. Idem pour la petite Rit-sans-Cause, charmante, mais tellement influençable. Quand au vénérable Serjo Niven, bien qu'il soit également cendreux, elle ne doute pas de sa pleine adhésion tant est acéré son sens de l'économie.
Pour ne rien arranger, l'oxyde de cuivre qu'elle a commandé a été livré sous forme de pépites... des pépites ?! Ça n'a pas de bon sssensss... c'est de poudre dont elle a besoin pour le traitement des aglamandes rampants à grelots... pas de pépites. Il va falloir passer tout ça au pilon... Et le Gorgo qui est parti !
C'est donc contrariée que Perd-ses-Plumes arrive sur le perron du Manoir.
Gâle-Riante et Simple-d'Âme s'y tiennent, la première un sac de linge sous le bras, la seconde un balais - SON balai - dans les mains. Et ça papote à qui mieux-mieux quand il reste tant de choses à faire, tant de travail à abattre... Pour être exact, seule Gâle-Riante piaille. Comme de coutume : avec enthousiasme et un rythme soutenu qui condamnerait tout autre qu'elle à l’asphyxie. Sa logorrhée est régulièrement entrecoupée de petits rires crissants particulièrement exaspérants. Elle parle assurément du nouveau venu : "un beau gaillard"... "si distingué"... "y cause comme dans les livres". Simple-d'Âme écoute sagement, figée dans cette attitude si singulière qu'on pourrait imputer, au choix, à une terreur sourde ou à la plus totale incompréhension. Parfois en observant la jeune argonienne, Perd-ses-Plumes se plaît à croire que dans son crâne réside cette chose inaccessible, mystérieuse et vide que les mers nomment Oblivion.
Allons, allons trêve de bavardages ! Rugit-elle au bout d'un moment. Au travail ! Au travail ! Qu'est ssse que sss'est que sssette hissstoire ? Allez, filez !
Après avoir pesté contre la bêtise de ses congénères la vieille argonienne arpente le manoir en quête de Peau-Douce. Elle s'autorise un sourire de soulagement quand arrivée à la bibliothèque, elle le surprend en plein travail. Un argonien besogneux au Manoir, tout n'est pas perdu...
_________________ Perd-ses-Plumes ne sss'occupe pas des sssols !
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