Très cher Ralen fils de Sieran, mon bon ami,
Puissent Aubes et Crépuscules t'épargner durant de longues années encore les affres d'une nuit sans fin.
Ma voix faiblit de ne pouvoir te transmettre ce qui suit et mon souhait le plus cher aurait été de me présenter moi-même à ta porte. Hélas, tu ne le sais que trop : les mers n'ont jamais été aussi larges et les chemins interminables depuis que cette guerre absurde a éclaté. Une fois encore, je suis contraint d'accorder à un sot parchemin l'insigne honneur de t'instruire et de te divertir.
Mais, tout d'abord, il m'appartient de te féliciter et de louer des talents qui contrairement aux miens ne se sont pas émoussés à force d'âge. Sur les rives de la Padomaïque où je tiens actuellement retraite ne me parviennent pas seulement écumes et chants de mouettes ; les nouvelles du continent sonnent aux oreilles de ceux qui prennent la peine de les tendre et c'est sans réserve aucune que je salue ta prise d'ambassade à Vendeaume. Communique donc à qui veut cette missive pour preuve qu'un Telvanni au moins, sur cette terre, accorde aux braves et aux porteurs de paix l'estime qu'ils méritent.
Ceci dit, et bien que l'exploit justifie en soi mille nobles billets, tel n'est pas le sujet de ma missive. Son porteur, tu l'imagines sans peine, tient ce rôle. Tu me connais suffisamment, cher ami, pour savoir que je n'impose jamais personne à ta vue sans y adjoindre par écrit quelque éclaircissement.
Te souviens-tu – serait-il seulement possible que tu ne t'en souviennes pas ? – de ta lointaine cousine Salora ? Salora des Romoran d'Ald'rhun : cette femme si belle et altière qu'on pût à sa vue, aveugle au marbre modelé, façonner sans faillir, l'image d'Azura. Tu me la présentas fortuitement aux jeunes âges de nos chairs quand libres entre deux assauts nous fréquentions ces délicieux débits de vices. Paix recouvrée, c'est avec ton assentiment, ou plus exactement... ta plus totale indifférence que je la pris pour troisième concubine.
Temps et péripéties se sont succédés depuis lors et sois assuré que je ne t'impute nullement la tournure fâcheuse que prit cette relation. Pas plus que je ne l'impute, évidemment, aux sangs de ta Maison.
Quoi qu'il en soit, femme est ainsi faite qu'on peinerait, sans progéniture commune, à la compter pour sœur de race. N'appartiennent-elles pas davantage, ami botaniste – je te sais davantage porté sur cet Art que sur le Beau Sexe – à la flore, qu'à nos faunes respectives ?
D'ordinaire, temps faisant, elles s’assèchent et joliment dépérissent dans le vase à leur seul soin façonné. Les plus nostalgiques, « amoureux dit-on » en font des bouquets secs qu'ils suspendent à leurs poutres. Nous savons pourtant qu'à terme - mâle ingratitude - l'oubli et la lassitude précipiteront au feu ces fagots d'amours passées.
Mais il est des fleurs, pas moins superbes que leurs congénères qui à l'instar des Venelles cendrées ne s’assèchent pas au gré des ans, mais au contraire engraissent d'humidité, gonflent et pourrissent en leur cœur. Je ne t'apprends rien : passé le délai d'une floraison aussi brève qu’éblouissante, la Venelle empeste et nul ne saurait demeurer clos en sa présence sans ressentir dans l'heure, nausées et maux de tête.
Je suis au regret de t'informer que ta cousine Salora est de cette dernière espèce et puisque je te sais en la matière valoir référence, je suggère bien humblement que tu glisses dans l'un de tes savants herbiers quelque allusion à ta parente.
Déjà, par ces lignes, je devine ta consternation, mon frère. Que vais-je soumettre de manière aussi impudique à ton esprit hautement sollicité pareilles banales intimités ? Toi-même, par respect et dignité, jamais, ne m'imposas d'aveux plus crus, ni plus triviaux. Et Méphala seul sait combien, tu dus connaître ton lot de tourments, isolé que tu es en terres arriérées, livré aux caprices et fantaisies de tes gitons exotiques. Toujours tu m'en épargnas les détails et je t'en suis gré.
Toutefois, pour triste excuse, accepte le fin mot de l'histoire que je rédige, non sans faiblir : je me défis donc tantôt des services de Salora qui à cette heure vogue vers la grande île. Je m'apprêtais à liquider les quelques biens que cette poison n'avait pas subtilisés, faute de temps ou d'espace dans les cales qui lui vaudront un temps refuge, quand je redécouvris l'existence d'un précieux bibelot. Son acquisition, il y a de cela une petite vingtaine d'années m'avait coûté une fortune. C'est une Bosmer, un aimable échantillon de beauté sauvage et de saine bêtise. Elle servit mes doux enfants durant de longues années et pour des raisons que j'ignore, ils la tolérèrent ce temps durant.
Maëfarayn surtout lui porta quelque affection, quelque confiance, que sais-je... Je ne t'apprends rien : ma fille porte aux animaux domestiques un intérêt déroutant. Voilà bien une passion que vous partagez tous deux.
Quoi qu'il en soit, j'avais oublié jusqu'à l'existence de cette créature dont le nom, je l'avoue, m'échappe partiellement… Aelin, quelque chose comme ça… Qu'importe, nomme-la selon ton bon plaisir.
Sans doute l'ai-je cédée à Salora, par excès de faiblesse, quand mes chers enfants partirent à ta rencontre. Mais il est temps, à présent, de réinvestir cette délicate acquisition.
Ma fille, je ne l'ignore pas - et te blâmerai-je de ne pas m'en informer ? - pâtit, ces temps-ci, d'une santé fragile. J'espère sincèrement qu'un peu d'affection et d'écoute, émaneraient-elles de la petite chose que je t'envoie, allégera une peine qui m'est insupportable. C'est peu, certes : la créature n'a d'autres talents que tresser des nattes et courber élégamment l'échine. Mais tu comprendras aisément, toi qui fut père, combien il est cher à nos cœurs de veiller aux conforts de nos enfants.
Je ne me suis que trop étendu sur ce sujet et je me fie comme toujours à la justesse de ton jugement. Transmets, je te prie, ce cadeau à ma fille chérie ; jouis-en toi-même si le cœur t'en dit, mais surtout, ami, donne-moi de ta main des nouvelles que ne sauraient porter si loin les mouettes de Padomée.
Que ta Déesse veille sur toi,
Ton très dévoué,
Felen Ihrfhin.