~ Le Dreugh ~
Eu égard aux nombreuses légendes et autres folklores
1 qui gravitent autours du dreugh, il semble essentiel de souffler un vent de clarté sur sa nature. Le dreugh est indubitablement un crustacé décapode, un des nombreux sous-embranchements des Arthropodes. Il présente en effet les caractéristiques typiques des crustacés : exocuticule de chitine calcique, corps segmenté et paires d'appendices articulés, au nombre de cinq très exactement, d'où son rangement dans l'ordre des Décapodes. Ensuite, il nous semble important de préciser en quoi le dreugh présenté ci-après est endémique de Resdayn. Les différentes études menées sur les aires de répartitions du dreugh au cours du temps (notamment grâce aux relevés fossiles) permettent de penser que le dreugh commun "dérivé" a vu son origine dans la baie d'Illiaque et dans l'Archipel des Îles Ascadiennes. Et les individus de ses deux environnements présentent aujourd'hui suffisamment de différences anatomique pour les séparer clairement.
Vous allez le voir, l'anatomie du dreugh n'est pas aussi compliquée que ne le prétendent les jeunes étudiants de l'académie de Longsanglot. En partant des caractéristiques des Arthropodes, on constate bien que le corps de l'animal présente trois segments principaux : la tête (céphalon), le thorax (péréion) et l'abdomen (pléon). On pourrait certes noter que la présence d'un segment céphalique articulé est assez inhabituel au sein du groupe des crustacés qui présentent pour la grande majorité un céphalothorax consolidé. Hormis cette bizarrerie, rien de compliqué dans l’agencement des segments. En partant maintenant des caractéristiques des Décapodes, on compte chez tous les individus un nombre constant de cinq paires de membres que nous allons détailler de suite.
On commencera arbitrairement par traiter des trois paires d'appendices locomoteurs portés par l'abdomen, les six pléopodes (
1), ou tentacules, dans le langage commun. Ce sont, comme leur nom l'indique, les seuls et uniques organes qui permettent au dreugh de se déplacer et, à l'instar des poulpes, ils lui offrent une importante vélocité marine. Elles présentent en outre une série de ventouses vascularisées qui permettent à l'animal de se fixer sur n'importe quelle surface.
Le segment thoracique supporte quant à lui le reste des appendices, qui sont dits préhenso-masticateurs. Deux appendices inférieurs appelés péréiopodes (
4), ou pattes thoraciques sont de véritables petits outils préhenseurs pour le dreugh. Il s'en sert essentiellement pour saisir de la nourriture et la porter à sa bouche. Quelques rares observations ont mises au jours des utilisations plus élaborées de ces membres, telle que la manipulation des œufs ou le découpage de proie volumineuse. La paire d'appendices supérieurs du péréion présente une étonnante dissymétrie droite-gauche. Les deux appendices sont toutes deux des pinces mais là où la pince de gauche présente des dimensions normales, la pince de droite est grandement déformée, allongée, aplanie et épaissie. Un tel dimorphisme a très probablement pu générer une partie du folklore thérianthropique
2 or il s'explique le plus simplement du monde par des phénomènes d'adaptation du dreugh aux diverses contraintes environnementales et intraspécifiques, qu'on détaillera dans la partie sur le mode de vie.
La pince supérieure gauche, appelée chélipède (
3), constitue l'exclusif organe d'attaque de l'animal. Elle est composée d'un pollex, prolongement de la dernière articulation de l'appendice
3, long, fin et tranchant, et d'un dactyle articulé. Le dreugh utilise ce membre essentiellement pour la chasse, et notamment pour perforer profondément le derme de ses proies. C'est évidemment la pince supérieure droite, le clipéopède (
2), qui attire les regards éberlués des explorateurs et biologistes en herbes. Ici le pollex et la dernière articulation (propode) ont fusionnés pour former une épaisse plaque de chitine renforcée aux apparences de bouclier. Le dactyle présente lui aussi des dimensions plus importante mais les observations montrent qu'il n'est quasiment plus utilisé, le clipéopède ayant semble-t-il perdu l'usage de pince au profit d'un usage plus défensif et parfois offensif (notamment pendant les période de reproduction où les mâles se battent en duels).
Vous l'aurez retenu, le dreugh étant un arthropode, il présente donc aussi les attributs reproductifs inhérents à ce groupe. Avant de conclure sur sa biologie, il nous faut donc inévitablement aborder son mode de reproduction, et notamment ses différents cycles de vie. Les connaissances sur ces cycles sont encore à l'état d'hypothèse, et cela s'explique par le fait que son cycle d'existence le plus aisément observable, le cycle terrestre, correspond à la période de sa vie où il est le plus agressif. Cependant, les biologistes s'accordent sur un cycle global simplifié dont voici le détail.
La larve du dreugh, aussi appelée Nauplius, est libérée dans le milieu marin ou lacustre après éclosion de l'œuf. Cette larve présente l'ensemble des organes du dreugh mais sous une forme primitive. Ces organes vont pouvoir se développer en forme lors des différentes mues de métamorphose, puis grandir en taille lors des multiples mues de croissance. Le dreugh, de son état larvaire à son état adulte, vit la majeure partie de sa vie sous sa forme aquatique.
Cependant ce cycle marin simple est complètement bouleversé par un cycle terrestre bref et intense, au beau milieu de la vie de l'individu. Il va en effet subir une nouvelle série mues de métamorphose très rapides et rapprochées au cours desquelles les appendices locomoteurs (pléopodes) marins vont être remplacés par des appendices de locomotion terrestres
4. Lors de ses mues, le dreugh se rapprochent progressivement du rivage et une fois les membres terrestres achevés, il sort des eaux pour arpenter frénétiquement le milieu terrestre.
Ce cycle particulier est appelé Karvinasim et dure environ une année. Les minutieuses observations du biologiste Fronto Maecilius ont révélées que l'objectif du dreugh terrestre durant ce cycle était toujours le même : s'enfoncer loin dans les terres et s'éloigner le plus possible du rivage, à la recherche d'un autre point d'eau. Une fois trouvé, le dreugh va rôder patiemment autour de la nouvelle étendue d'eau jusqu'à ce que de nouvelles mues de métamorphose ne s'opèrent dans les dernières mois du Karvinasim. Une fois l'année écoulée et le retour à la forme aquatique entièrement achevée, l'animal se jette dans l'eau et dévore sa dernière mue pour retrouver des forces
5. Il s'agit là d'un mécanisme de conquête de territoire assez efficace semble-t-il puisque le dreugh colonise ainsi les milieux aquatiques côtiers autant que continentaux.
Une fois son troisième cycle entamé, le dreugh, de nouveau aquatique, peut enfin se reproduire. Les femelles sécrètent des amas gélatineux qui contiennent des centaines d’œufs et qui attendrons des températures propices pour éclore. Ainsi se boucle les différents cycles de vie de ce crustacé particulier.
Là encore, difficile de publier plus qu'une note sur le mode de vie du dreugh tant les connaissances sont partielles. D'ailleurs, prenez garde aux ouvrages conséquents qui prétendent traiter en profondeur du dreugh et de ses pratiques car le potentiel véridique de ses derniers va rarement plus loin que la douce rêverie ou le roman scientifique.
On dit généralement que le dreugh marin est un animal paisible et plutôt pacifique. Il est vrai que les récits d'attaques de dreughs sont très rares dans les histoires de marins pêcheurs. Cependant, on a relevé suffisamment de cas de filets de pêche et de cages à palourdes saccagés par des dreughs dans les Îles Ascadiennes pour ne plus les classer au rang des exceptions. Le dreugh marin est au sommet de la chaîne alimentaire marine de la région d'Ascade, et en tant que tel il est normal qu'il adopte un comportement agressif face à toutes les invasions de son milieu. Et cela est d'autant plus vrai si ces invasions interviennent pendant sa période de reproduction ou, pire encore, dans son milieu de ponte.
Notez cependant qu'il est un omnivore qui se nourrit très rarement d'animaux plus gros que lui. Algues, diverses bivalves, vasards ou poissons de taille moyenne, voici l'essentiel de son régime alimentaire.
Il est une période où les dreughs marins mâles présentent un regain notable d'agressivité, lorsque les femelles sont en ovulation, prêtent à être fécondées. Les mâles en rut se battent en duel, faisant s'entrechoquer leur clipéopède, parfois jusqu'à ce que l'un des deux appendices se brise, ceci pour imposer leur supériorité et pouvoir ainsi s'accoupler avec la femelle de leur choix. Ces duels sont très violents et difficiles à observer et l'on ne saurait que vous déconseiller d'essayer d'en observer tant cela serait synonyme d'une chute soudaine de votre espérance de vie.
En parlant d'agressivité, il faut bien sûr reparler de la forme terrestre du dreugh, dont le comportement n'a rien à voir avec son homologue marine. Un dreugh terrestre est un animal très dangereux et la prudence est évidemment de mise. Ayez bien à l'esprit que durant cette phase de sa vie, le dreugh est traversé par un puissant flux de substance énergétique qui vise à le rendre résistant à cet environnement hostile qu'est la terre ferme et, qu'en outre, il aura besoin d'ingérer beaucoup de matière organique pour pouvoir amorcer ses mues de fin de cycle. En somme, le dreugh terrestre est une créature qui bouillonne d'une agressive énergie et qui est affamée.
Si vous escomptez observer des dreughs, ne partez jamais sans être accompagné d'une escorte expérimentée. Les rédorans chasseurs de chitine de la Faille de L'Ouest sont parmi les plus adroits dans la chasse du dreugh, dont ils dépècent l'exocuticule et en font des splendides armures à la fois résistantes et flexibles, très appréciées des agents de la Morag Tong.
___________________
1 :
La légende populaire implante dans les esprits naïfs que les dreughs soit un ancien peuple de mers dont l'océan était le royaume, dans un autre paradigme temporel... Certains illuminés leur prêtent un passé glorieux et civilisés et des ascendances avec Molag Bal... Faites-en ce que vous voulez.2 :
Dans la littérature hautement vulgarisée, voir complètement faussée, on les trouve souvent représentés comme des humanoïdes mi-homme, mi poulpe, armés d'un bouclier et d'une lance. Leur céphalon est même régulièrement remplacé par une tête aux traits parfaitement humains. Fantaisies et sottises qui n'ont pas lieu d'être commentées plus avant.3 :
Les appendices articulés des crustacés se divisent en quatre articulations, en partant du thorax vers l’extrémité, on trouve le coxa, le mérus, le carpe et le propode. Le pollex est ici un prolongement chitineux du propode et n'est donc pas articulé, à l'inverse du dactyle.4 :
Durant le cycle terrestre, le dreugh présente d'ailleurs une particularité anatomique véritablement unique en son genre puisque l'une des paires de pléopodes est dites "dormante" laissant au dreugh seulement deux paires de pattes pour se déplacer. Nul n'est à même de dire s'il s'agit là d'une adaptation à une marche facilitée ou à une anomalie ontogénétique.5 :
La dernière mue contient une importante quantité de substances énergétiques résiduelles diverses et variées dont on pense que l'ingestion systématique permet au dreugh d'obtenir l'énergie nécessaire à la reproduction, qui est se fait apparemment tout juste après le Karvinasim.