Vie et disparition de Kagrénac, architecte tonal
par Llevndryn Sershilavu de la Maison Arador Dayn
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Conseiller du roi trahi
Architecte du blasphème
Forgeron des divins
Il fut et s'en fut, sous l'ombre du cœur
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Il est sans doute l’un des êtres les plus énigmatiques qui arpentèrent la surface de Nirn et les entrailles de Tamriel. Le Dwemer Kagrénac fut le conseiller du roi Dumac de Resdayn durant le second empire du Peuple Profond. Son nom ne peut se dérober à l’évocation immédiate de ce qui l’a fait connaître dans tout Tamriel en 1E 700 : la disparition brutale de l’ensemble de son peuple. Mais avant de m’attarder sur cet événement, j’aimerais revenir, à l’aide du mantra qui introduit ce texte, sur quelques points de sa vie, afin d’essayé de comprendre ce qui l’a poussé à mettre fin au Dwemereth
1. J’espère que ces lignes permettront d’apporter un éclaircissement sur ses intentions et ses préméditations, mais aussi qu’elles offriront un aperçu juste de ce que fut la vie de Kagrénac, qu’on ne connait que trop au travers des simples événements qui précédèrent sa disparition, en oubliant que celui qui en fut l’origine était avant tout un Mer.
Nous ne connaissons rien de la naissance de Kagrénac ni de ce qui s’est réellement produit en 1E 700 lors de sa disparition, cependant, bien que beaucoup assimile la disparition des Dwemers à leur mort pure et simple, il serait déraisonnable de déclarer cet événement comme fixant dans le temps la mort de ce Dwemer et des autres. Aussi, par soucis de rigueur, je parlerai ici de la disparition de Kagrénac et non de sa mort. (Il est à noter que certaines traditions, notamment la tradition cendraise, affirment que Dagoth Ur tua Kagrénac avant que celui-ci ne puisse disparaître.)
Nul document ne fait trace du début de sa vie et les premières mentions de son nom s’accompagnent de divers titres qui témoignent, on peut le supposer, de quelques accomplissements qui les lui auront décernés. Parmi ceux-ci, on peut en retrouver certains dont la fréquence dans les textes varient selon la période citée : Haut Prêtre, Mage-Artisan, Haut Ingénieur, Haut-Seigneur Artisant ; et puis plus tard : Conseiller du Roi, et Architecte tonal en chef. Il est dit que Vivec lui-même le nommait « Kagrénac la Rouille
2 », ceci n’était pas réellement un titre élogieux, mais le simple fait que Vivec daigne le désigner plus que par son seul nom prouve combien il était redouté.
Cette renommée montante au fil de sa vie lui ouvrit bien des portes et lui permit de gagner la confiance du roi Dumac qui le prit comme conseiller. Nul doute que la paternité de nombre de décisions importantes au sein du peuple Dwemer peut lui être attribuée.
Il est difficile de savoir si une amitié s’installa entre le roi et son conseiller. Le caractère de l’Architecte tonal n’est mentionné nulle part et ce que l’on sait du roi Dumac ne nous aide en rien à percer cette interrogation. Pourtant, comme nous le verrons plus loin, cette information aurait pu se révéler d’une importance capitale pour comprendre l’œuvre à laquelle Kagrénac consacra une grande partie de sa vie. Mais les érudits de l’époque semblent porter peu de crédit à ce genre de détails et la vie privée du conseiller du roi nous échappe tout à fait. Pas de mention de ses humeurs, de son comportement. Rien n’indique même qu’il eut une famille.
Peu de choses dans nos connaissances sur les Dwemers permettent de savoir quels traits il fallait avoir pour échelonner les barreaux politiques et quels aspects de sa personnalité il était d’usage de mettre en avant pour plaire au peuple. Mais Kagrénac devait avoir les atouts requis puisqu’il prit bientôt une place de choix parmi les dirigeants du second Empire.
Arrivé à ce stade, la question de la préméditation de la disparition des Dwemers se pose. Bien que les rituels ayant permis à une telle chose de se produire nous soient encore inconnus – peut-être la Guilde des Mages ou quelqu’autre organisme trouvera-t-il un jour la clef de ce mystère – il n’est pas déraisonnable de penser qu’ils demandèrent plusieurs années de préparation, des générations peut-être, et que le roi et sans doute même la population était au courant de ces préparatifs. Le fait qu’ils aient pu mener à bien un projet visant à la disparition de tous les Dwemers me laisse perplexe, mais pourtant, si même un membre extérieur à leur peuple, Voryn Dagoth, pu découvrir l’ampleur de leurs plans, je ne peux me résoudre à penser que l’Architecte tonal ait exécuté ses desseins dans le plus parfait secret.
Mais avant de parler de la découverte que fit Voryn Dagoth et qui changea brusquement le cours des relations entre le peuple Dwemer et les Chimers, il me faut évoquer les outils que Kagrénac, Haut Ingénieur, conçu au cours de sa vie et qui se révéleraient posséder une puissance qu’aucun sans doute à part lui en personne, n’aurait pu soupçonner. Je décrirai aussi bien qu’il m’est possible, ces outils et leurs propriétés dans un feuillet en annexe. Je voudrais ici me concentrer à leur énumération pour souligner le rôle qu’ils ont joués au cours de la vie de Kagrénac et qu’ils joueront jusqu’aux derniers instant du peuple dwemer et par la suite, sur le peuple dunmer.
Ils sont trois puis un. Trois que le Haut Prêtre utilisa pour le rituel qui fit disparaître les Dwemers : Broyeur le marteau, Lamentation la dague, et la Garde Spectrale, un gantelet. Seuls les Tribuns connaissant véritablement leur fonctionnement, car c’est grâce à leur utilisation qu’ils devinrent dieux et établirent le Tribunal. Mais, loin de moi l’idée de remettre en question la sagesse ou la légitimité du Tribunal, je soupçonne que même les Tribuns n’ont qu’une connaissance très réduite de la véritable portée que peuvent atteindre ces outils. Peut-être que Dagoth Ur fut celui qui aperçut de plus près cette portée quand il refusa de les remettre à Almalexia, Sotha Sil et Vivec. Ils représentaient les outils du blasphème aux yeux mêmes de la Dame de l’Aube et du Couchant et nous portons encore sur nos peaux, à témoin, la colère que suscita leur utilisation. Autant de signes qui laissent à supposer que nous n’avons aperçu qu’une fraction de la puissance de ces outils.
La finalité de ces outils était-elle claire dès le début pour Kagrénac ? Les utilisa-t-il à d’autres desseins avant que son plan ne se dessine ? Ces artefacts soulèvent toutes ces questions et bien d’autres au sujet de leur artisan. Leurs réponses permettraient de cerner plus précisément le personnage, de comprendre s’il improvisait, s’il obéissait à des ordres et n’était l’origine de rien, ou s’il avait entrevu dès ces première années l’idée qu’il ne lâcherait plus jusqu’à son aboutissement. Malgré leur grand pouvoir, ces outils nus de leur créateur, ne peuvent plus répondre.
Un dernier objet façonné par le Mage-Artisan a toutefois un destin bien différent et doit être considéré, à cet égard, comme tout à fait dissocié des trois précédents. Il s’agit d’Astre-Lune, aussi connu sous le nom de Un-Seul-Clan-Sous-l’Astre-Lune. Cet anneau enchanté fut forgé sous les ordres de Kagrénac pour Nérévar. C’est Nérévar lui-même qui fut commanditaire de cet anneau et les forgerons du Haut-Seigneur Artisan ne remplirent alors que le rôle d’exécutants. Nous ne pouvons donc pas totalement considérer cet artefact comme une des œuvres originales de Kagrénac – preuve s’il en est, Azura accepta de bénir l’objet pour l’utilisation de Nérévar.
Maintenant ces éléments exposés, nous pouvons revenir à la découverte que Voryn Dagoth rapporta à Nérévar. Celui-ci affirma à son ami que les Dwemers avaient découverts un artéfact que l’on dit être aussi vieux que Nirn elle-même : le Cœur de Lorkhan. Apprenant ceci, Nérévar s’enquit auprès du roi dwemer Dumac qui affirma ne pas être au courant. Ce point est particulièrement intéressant car sa véracité changerait du tout au tout la manière dont peut être perçu Kagrénac. Il n’y a actuellement aucun consensus pour permettre de savoir si Dumac mentait à ce moment-là ou si, réellement, il n’était au courant de rien. Si tel était le cas et que Dumac disait effectivement la vérité, alors personne dans le peuple dwemer ne pouvait soupçonner les plans du Haut Prêtre.
Une telle réalité conjecture plusieurs choses. La première et la plus improbable est que Kagrénac aurait agi absolument seul, ce qui lui supposerait des pouvoirs démesurés, ne serait-ce que pour effectuer moult tâches répétitives, hypothèse que j’écarte d’entrée au vu de son invraisemblance. Une alternative à ceci, cependant, serait la création de multiples automates de son fait, qui seraient à n’en pas douter plus complexes que ceux que nous pouvons encore trouver dans quelques ruines, et qui l’assisteraient alors. Même si cette vision est séduisante, elle est encore bien loin d’être convaincante. En effet, même en ignorant tout de la nature des rituels qui ont aboutis à la disparitions des Dwemers, il n’est pas difficile de s’imaginer que la nécessité de plusieurs personnes douées de conscience et agissant à plusieurs endroit du royaume dwemeri, est plus que présente. Reste donc la possibilité d’un petit comité de fidèles à Kagrénac agissant dans l’ombre la plus parfaite dans toutes les sphères de la société dwemeri.
À travers chacune de ces hypothèses c’est d’un individu complètement différent que Kagrénac revêt les traits. Qui le conseiller complice et ambitieux d’un roi, visionnaire pour son peuple et aimé par lui. Qui le manipulateur, traître tirant d’innombrables ficelles et au réseau gigantesque. Qui le génie muet, incompris et qui seul, dessina le destin de tous.
Je voulais parler du Mer qu’était Kagrénac, mais c’est un Mer aux mille visages dont tous sont floués par le temps et par notre incapacité à appréhender de tels esprits. Nous ne saurons probablement jamais qui il était et sans doute n’y a-t-il jamais eu personne qui l’a vraiment su. Il fait partie de ces êtres qui passe sur le monde le bref instant d’une vie et qui en change la face sans qu’on puisse comprendre complètement dans quelle mesure. J’évoquais mon désir de ne pas réduire la personne qu’il était aux événements qu’il a provoqué, mais comment ne pas réduire une personne en parlant à sa place. Ces actes sont ce qu’il reste de lui et tout ce qui nous en est parvenu. Le reste – tout le reste – il le garde avec lui, et le secret de qui il était a désormais disparu avec les Dwemers.
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1 Nom donné à la civilisation dwemeri
2 36 Leçons de Vivec, 36e Sermon (« Kagrenac the Blighter » en anglais, pas de traduction dans la version française)